… pour Marcel, qui a 92 ans au moment où il raconte un épisode de sa vie.
« Quand je ne dors pas la nuit, et ça m’arrive souvent, j’essaie de me rappeler des histoires du passé, des gens…
De temps en temps, il y a des souvenirs qui reviennent. De mon enfance par exemple.
J’ai habité un peu de partout, la plupart du temps en Savoie. J’aime bien y retourner, pour voir les endroits où nous avons passé une partie de notre vie, avec ma famille.
Ma femme, elle, ne s’intéresse pas à revenir sur sa vie. Elle ne veut plus voyager. Cela n’a pas toujours été le cas. Au contraire, elle n’était pas la dernière à se presser pour monter à Paris visiter les enfants. Nous avons aussi voyagé loin, à l’étranger : au Portugal, en Italie… Mais la dernière fois qu’on a été ensemble chez nous, à Chedde, avec Madeleine et Henry, c’était il y a un bout de temps. Je ne m’en rappelle même plus.
Mon père était employé des chemins de fer à Cluses. Il a été marié deux fois. Il était veuf d’un premier mariage. Ce n’est pas rien dans la vie d’un Homme, et pourtant il n’en parlait jamais. Moi, je ne l’ai appris que tardivement, au moment où je suis entré au régiment. Il fallait présenter son livret de famille, et comme je ne l’avais encore jamais vraiment lu, c’est là que j’ai su que sa première femme et lui habitaient à Cluses. Ma mère m’a raconté plus tard que sa femme était tombée malade et était morte. Elle était soignée par ma mère et c’est comme ça qu’elle avait rencontré mon père. Ils se sont mariés par la suite.
Je suis né à Cluses. Mon père avait été muté à Moutier, là où ils habitaient, mais ma mère a préféré revenir chez elle, à Cluses, pour accoucher le 21 mars 1910, à midi, le jour du printemps. Je suis né dans un hôtel qui était tenu par mes grands-parents, les parents de ma mère. Quand elle venait, ma mère faisait la serveuse chez ses parents.
Il n’y avait pas de médecin. C’était des femmes qui avaient pris l’habitude d’accoucher d’autres femmes qui faisaient ça. Pas de médecin. D’après les photos, j’étais un bébé assez corpulent. »
Nous nous sommes rencontrés sept fois avec Marcel pour aboutir à un texte d’une centaine de pages.
Je suis son petit-fils. Nous parlions pourtant beaucoup en temps normal, mais il a abordé pendant nos échanges de nombreux pans de son existence que j’ignorais. Finalement, j’ai énormément appris sur la vie de mon grand-père. Comme le fait qu’il était né dans un Hôtel que tenaient ses grand-parents, là où sa mère était de temps en temps serveuse… ou que mon arrière grand-père, que j’ai connu, avaient eu deux femmes…
Cela fait bizarre d’avoir tant attendu pour parler de ces épisodes pourtant banals et centraux : la naissance, les arrières grands-parents. Pourtant c’est la réalité. Avons-nous au fond des relations si superficielles ?
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